Gustave Flaubert, May 1845

Upon return from his travels in Italy and Switzerland, Flaubert wrote to his friend, Ernest Chevalier: "Deux choses m'ont ému, c'est le nom de Byron gravé au couteau sur le pilier de la prison de Chillon, et le salon et la chambre coucher de ce vieux M. de Voltaire à Ferney. J'ai vu aussi celle où est né Victor Hugo à Besançon." He also recorded his impressions in a notebook later published under the title, "Voyage en famille, avril-mai 1845", in Oeuvres complètes de Gustave Flaubert, ed. Conard (Paris, 1910), volume IX (Notes de voyage), pp. 57-58.


FERNEY. - Le château est au milieu des arbres, qui étaient vert clair sous la pluie.- Aspect triste d'abord. - Petit château à un étage, deux ailes, trois escaliers. Celui du milieu vous fait entrer dans le salon, celui de gauche dans le cabinet de travail de Voltaire, que l'on ne montre pas. - Le parc est par derrière et ne se voit pas en entrant. Allée droite (au milieu, un bassin d'eau) devant la porte du salon. Sur la gauche surtout, et au bout, la vue doit être superbe: tout le lac de Genève, le mont Blanc, et plus encore...

Église bâtie par Voltaire.-L'inscription Deo erexit Voltaire ne se voit plus, elle a été effacée par les «mauvaises gens», m'a dit Louis Grandperrey. Tombeau en forme pyramidale, surmonté d'une urne que Voltaire avait fait édifier pour lui. L'église et le tombeau sont maigres et ont l'air vieux sans être anciens. On a été longtemps à nous ouvrir la porte, un énorme dogue aboyait sur le seuil; il est venu à moi, m'a regardé et s'est tu. - Le salon a une forme carrée à coins coupés. Tenture en soie rouge brochée, copies de l'Albane: Muses et femmes nues, la Toilette de Vénus; fauteuils en tapisserie, fond blanchâtre à fleurs. Sur la droite la cheminée, singulière forme du poêle. Sur la porte qui donne dans sa chambre à coucher: l'Apothéose de Voltaire conduit par la Vérité et couronné par la Gloire; au bas et renversés, les Critiques, I'Envie, le Fanatisme, etc., aquarelle, gravure coloriée ou dessin avec de la couleur, pitoyable du reste. - Chambre à coucher: au fond le lit, le vrai lit où le grand homme dormait; on en a ôté les tentures et on en voit le bois à nu. Suspendu sur le lit, le portrait de Lekain (au pastel) à la Titus et couronné de laurier; à droite, un portrait (pastel) de Voltaire jeune, le même que celui de l'édition de 1782; à gauche, le grand Frédéric (à l'huile), nu-tête, en costume militaire, teint animé, plaqué de rouge, tête maigre et carrée. Sur les deux grands panneaux, à droite, Mmé du Chatelet et Mm. Denis; à gauche, le portrait de Catherine, brodé à la main par elle-même (fait et donné par Catherine de Russie à M. de Voltaire). Dans la cheminée une espèce de monument funèbre qui a contenu son coeur, avec ces deux inscriptions au-dessus: «Son esprit est partout et (ou mais?) son coeur est ici». - «Mes mânes seront tranquilles puisque je sais que je reposerai au milieu de vous». Entre ce monument et la porte, un pastel; portrait d'un ramoneur au-dessus.

La tenture est de soie jaune à fleurs. L'ameublement de ces deux pièces était riche, plein de goût, vif en couleurs. On voudrait y être enfermé pendant tout un jour à s'y promener seul. Triste et vide, le jour vert, livide du feuillage, pénétrait par les carreaux; on était pris d'une tristesse étrange, on regrettait cette belle vie remplie, cette existence si intellectuellement turbulente du XVIIIe siècle, et on se figurait l'homme passant de son salon dans sa chambre, ouvrant toutes ces portes... Louis Grandperrey avait 15 ans quand Voltaire est mort; vieillard ordinaire, petit, chapeau de cuir, il semble encore ébloui du souvenir de son ancien maître. Il l'avait servi cinq ans; c'était lui qui faisait les commissions: «Lui avez-vous parlé? - Oh! oui, monsieur, plusieurs fois; il était sec comme du bois, maigre, maigre. - Etait-il bon? - Oui, monsieur, mais il ne fallait pas lui désobéir, il était vif comme la poudre, il s'emportait, oh! il s'emportait... et il nous tirait les oreilles, il me les a tirées plusieurs fois. Il était aimé. Quand il est venu ici, il n'y avait qu'une ou deux maisons. Il était très bon, aimé, généreux, mais il ne fallait pas lui désobéir par exemple!» Je regardais cet homme avec avidité pour voir si Voltaire n'y avait pas laissé quelque chose que je pusse ramasser!


(engraving of Voltaire's bedroom from c.1840)


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